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Silvia Bächli est née en Suisse en 1956. Elle partage son temps entre Bâle, Paris et, depuis 1993, Karlsruhe où elle enseigne. Son travail se manifeste principalement par le dessin. Il a fait l’objet d’importantes expositions personnelles en Allemagne et en Suisse (Kunsthalle et Musée d’art moderne de Bâle, Kunsthalle de Berne, Centre d’art contemporain et Musée d’art et d’histoire de Genève, etc.) et il est documenté par de nombreuses publications. Représenté à Paris par la galerie Nelson, depuis 1997, année où la très sélective revue Parkett (« petit musée et grande bibliothèque sur l’art contemporain ») lui consacre un insert, il reste cependant méconnu en France.

L’œuvre de Silvia Bächli obéit à une discipline quotidienne. Chaque jour, généralement de 11 à 14h, elle s’assoit à sa table de travail et produit une grande quantité de dessins. En début d’après-midi elle marque une pause, puis elle regarde ses dessins de la veille, constitue des piles et en écarte la majorité. Le reste de l’après-midi, la plupart du temps, se passe en promenades. (Mais, déambuler, il faut le reconnaître, fait partie, sinon de son travail, du moins de l’entraînement qui lui est nécessaire.) Et puis parfois, le soir, elle dessine à nouveau. Ce calendrier, bien sûr, peut supporter des exceptions. Celles, notamment, qui sont dues aux voyages.

Pour la première visite que je lui rendis à Paris, l’artiste m’envoya un mot : « Si vous sortez du métro, il y a une seule rue qui monte. Vous la suivez , il y a à gauche un cimetière et après 3-5 minutes vous arriverez à un croisement de 5 rues. Ma rue est celle qui est entre les deux bars. Le n° 15, c’est la deuxième porte à droite. Il n’y a pas de sonnette, mais la cuisine est directement derrière la porte… frappez s.v.p. » L’espace ne s’offre jamais comme un « cadeau du ciel », chez Silvia Bächli. Et la promenade est avant tout nécessaire et reconstituante, comme lui sont nécessaires les repères trouvés en chemin. Pas de repères sans promenade et pas de promenade sans repères. Voilà pourquoi ses dessins peuvent être assimilés aux pages détachées d’un carnet de bord. Mais, enfin, pourquoi citer cette feuille de route ? Parce que quand je la relis à froid, son impeccable précision topographique révèle quelque chose d’essentiel dans le travail de l’artiste : suggérant alors l’image d’une circulation à travers les signes et à travers le temps : entre espace intime et espace extérieur. Circulation d’une extrême fluidité mais toujours réfléchie. Circulation aléatoire mais toujours parfaitement contrôlée. Glaner des repères à l’extérieur, en effet, les emporter chez soi, les transformer — comme la ville incorpore des arbres et d’autres végétaux d’ornements pour se rendre supportable — ; ou, au contraire, déplacer des éléments de l’espace privé vers la neutralité de la page blanche ou du mur blanc ; ces deux méthodes, pourtant opposées dans leur orientation, coexistent dans le travail de Silvia Bächli.

exposition au Domaine de Kerguéhennec photo : Laurent Lecat Quels sont donc ces signes qui jalonnent l’œuvre de Silvia Bächli ? Des vêtements, des entrelacs, des plans, des rayonnages, des objets domestiques, des fleurs, des branchages, des réseaux de courbes ou de droites tracées à main levée, de sommaires et parfois d’inapparentes représentations, des vues d’intérieurs, des visages, des yeux, des membres, des corps féminins… parfois des textes et presque toujours des fragments. Il n’y a guère que les textes qui sont complets. Mais alors comment se règlent (ensemble) la longueur du texte, la taille des lettres et le format de la feuille ? Comment, noir sur blanc, tout cela forme-t-il un tout ? Un bloc de texte qui forme un bloc de sens d’une dimension précise ! Comment en effet assigner une dimension à une pensée ? Comment se fait-il que le texte perde de son intensité une fois reproduit typographiquement ? Comment le texte se fait-il dessin ou comment le dessin devient-il texte ? Car le phénomène, même s’il évoque irrésistiblement le cadrage serré et raffiné d’une photo maniériste, ne peut se résumer à un harmonieux équilibre entre pleins et déliés : qu’il s’agisse de texte, donc, à l’occasion, ou, plus souvent, de ces dessins faits du motif unique d’un bras ou d’une jambe repliés, ou encore d’une longue mèche de cheveux parcourant de part en part la fenêtre de la feuille de papier. Un signe suffit par dessin en général. Et ce signe, comme un mot, pourra donner lieu à de multiples réemplois. D’où la tentation d’associer les dessins entre eux, de les donner à voir au mur en des arrangements hétéroclites mais agencés avec une extrême méticulosité (comme des mots forment des phrases).

exposition au Domaine de Kerguéhennec photo : Laurent Lecat« La façon dont je place mes dessins, écrit Silvia Bächli, forme la troisième étape dans le processus de ce travail. D’abord, je produis des dessins chaque jour et je les glisse dans un carton, en évitant de juger s’ils sont bons ou mauvais. La deuxième étape correspond au moment où je jette beaucoup de ces dessins et n’en garde que quelques uns. A la fin, au cours de la troisième étape, et généralement en ayant un lieu spécifique en tête, j’essaie de les disposer en fonction des relations qu’ils peuvent avoir entre eux. Chacun d’entre eux est un son. Chaque tonalité a une intensité, une couleur, une attitude, une extension, une clarté, un poids particulier. Les pauses et les espaces intermédiaires ont exactement la même importance. Chaque dessin dégage un espace qui lui est propre autour de lui — un champ de forces. Un dessin doit trouver sa bonne distance entre deux autres. Ce sont des amis, des relations, des associés, des représentants de commerce assommants, des couples d’amoureux, des jumeaux, des paresseux, des solitaires. Chaque dessin constitue un point de repère dans un réseau de relations. Il n’y a pas de centre dans ce réseau. J’essaie de trouver un équilibre dérangeant dans ces espaces. » Cat. Selections Winter’95, Drawing Center, New York,1995, texte traduit de l’anglais.

Au Domaine de Kerguéhennec seront réunis des travaux de 1990 à 2001. Des photographies, des sérigraphies et une sculpture élargiront le vaste ensemble de dessins (suites ou dessins indépendants) présentés au mur et à plat sur des tables.

Frédéric Paul

Silvia Bächli est représentée par la galerie Nelson, à Paris, la galerie Barbara Gross, à Münich, Vera Munro, à Hambourg, Erika Friedrich, à Bâle, et Karlheinz Meyer, à Karlsruhe.

exposition au Domaine de Kerguéhennec photo : Laurent Lecat Un catalogue a été publié au printemps 2002 en coédition avec le Frac Haute-Normandie (exposition à Sotteville-lès-Rouen, du 19 janvier au 10 mars 2002) et le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (exposition du 24 mai au 8 septembre 2002).

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Silvia Bächli