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Wolf Vostell occupe, aux côtés de Nam June Paik, la place prééminente de ceux qui ont ouvert l’art à la prise en compte de l’image télévisuelle, annonçant un pan entier de l’art contemporain et son ouverture à la vidéo. Mais Vostell est aussi peintre. Chez Goya, Picasso, Titien dont il ne dédaigne pas d’étudier la grande peinture d’histoire, il saisit, non pas la tradition mais ce qu’il y a d’engagé, de propre à réagir à l’événement. C’est d’ailleurs grâce à la une du Figaro du 6 septembre 1954 relatant un accident d’avion qu’il découvre le concept de dé-coll/age qui gouverne tout son travail. Né en 1932, Vostell a vécu enfant la Seconde Guerre mondiale et traversé à pied l’Allemagne détruite par les bombardements depuis la Tchécoslovaquie jusque Cologne. La guerre froide, la société de consommation, la guerre du Vietnam, la chute du mur de Berlin mais aussi la chape de plomb du franquisme sont les faitshistoriques qui traversent son oeuvre. Vostell laisse l’image de la profusion-profusion des techniques, des éléments, des événements : l’acrylique, les affiches, l’image télévisuelle, le béton, le plomb, les voitures, avions, locomotives, animaux vivants font de l’art de Vostell un art hors normes. Pour qui s’arrête à la seule apparence des choses, on trouve, chez Vostell comme chez d’autres, les affiches lacérées (1961-62), les effaçages (1961), les incisions dans la toile, la télévision (à partir de 1958), le transfert de photographies de presse sur toiles émulsionnées, l’acrylique, la vidéo, les installations, les happenings. Vostell est de son temps. Mais chez Vostell, membre fondateur de Fluxus, tout communique ; aucune forme n’exclut l’autre. Nourri du collage cubiste, de Dada, des premières recherches de la musique électronique, de son intérêt pour la typographie ou les rituels africains découverts grâce aux films de Jean Rauch, Vostell ne se contente pas d’emprunts au réel pour transformer la nature de l’oeuvre d’art, il élabore une oeuvre en action, qui capte l’énergie même de la vie. Vostell dont la première formation est celle d’un chromolithographe, travaille en 1954 chez l’affichiste Cassandre, inventeur de l’affiche murale urbaine à qui il emprunte le titre de sa première action parisienne : Le Théâtre est dans la rue, 1958. Vostell a souvent dit qu’il n’évoquait pas dans ses œuvres ce qui lui plaisait mais répondait aux événements de l ’époque. Il en appelle au devoir de conscience par rapport au chaos et aux destructions qui traversent le XXème siècle. Pour lui, qui a aimé peindre, agir, sculpter en public, son œuvre est une invitation au public à partager sa réflexion dans la collision des choses, des images et des actes.

L’exposition présentera une cinquantaine d’oeuvres datées de 1958 à 1997. Elle s’ouvre sur un tableau de 1988 : L’École d’Athènes. L’assemblée des sages de la culture classique peinte par Raphaël devient un groupe de guerriers porteurs de casque qui examinent les restes humains bougeant convulsivement sur un grand plan rouge placé devant eux. Les trois Sara-jevo Pianos ont été créés à l’occasion du concert Fluxus Sara-Jevo donné en 1994 à la Fondation Juan Miro de Majorque. Dans la grande tradition Fluxus, alors que le siège de Sarajevo se poursuit déjà depuis deux années, le piano devient instrument symbolique, porteur de boules de bowling, bottes rouges, tronçonneuses, maquettes de wagons, buste de Lénine qui génèrent le son de la performance. L’accrochage de l’exposition s’inspire de la chronologie de l’oeuvre. L’Autoportrait aux marques de pneu de 1988 superpose au visage de l’artiste un emblème de la nouvelle ère qui s’ouvre après la guerre : la voiture. Mais comme homme « moderne », Vostell appartient pleinement à la génération des fondateurs de l’art contemporain, qui vivent la difficulté, telle que décrétée par Adorno, de créer après la Guerre et les camps. Ce questionnement est central pour celui qui tout au long de sa vie s’est créé une improbable dégaine de juif orthodoxe. C’est à la lumière de ces paramètres fondamentaux que la première salle de l’exposition rapproche l’autoportrait, New York Stuhl, 1976, véritable hommage aux temps nouveaux (on ne regarde pas la télévision dans son fauteuil, la télévision est greffée au fauteuil même), un grand tableau des années 90 (Shoah). Dans Jesus mit TV Herz, le Christ présente à la place de son coeur un écran. Un peu plus loin dans l’exposition, Aug im Auge, tableau en deux parties, confronte à une sculpture médiévale de Christ en croix une réunion de personnes portant des masques à gaz et comprend un système vidéo en circuit fermé qui intègre le visiteur au tableau, entraînant le spectateur dans cette interrogation de la tradition chrétienne de la victime expiatoire. Dès 1953, deux petites gouaches illustrent la superposition de l’homme et de la machine comme un marqueur du changement de civilisation de l’après-guerre : avion de chasse et Christ en croix, guerriers-canon de la Guerre de Corée.Transmigracion, 1958, est la première oeuvre à insérer l’image télévisuelle dans la peinture annonçant cette recherche d’ouverture vers la vie en direct. Si l’interrogation du peuple allemand sur sa culpabilité et la volonté de s’identifier à la victime, pour partie par provocation, sont bien présentes chez Vostell, celui-ci a toujours échappé à la tentation existentialiste qui date fortement une grande part de la peinture française de l’après-guerre, pour, aux côtés des Nouveaux Réalistes, rechercher des formes nouvelles qui intègrent le réel par l’arrachage et le prélèvement d’affiches (Ihr Kandidat, 1961, Grosse Sitzung mit da, 1961). Dès 1962, dans l’une de ses premières actions, PC Petite ceinture, Vostell transforme par ses directives un simple trajet en bus autour de Paris en situation artistique. En 1963, le film 16mm Sun in your head, transfère la procédure de prélèvement à l’image télévisuelle, en refilmant sur la télévision des images brouillées ou déformées. Loin de s’abstraire de la représentation figurée, Vostell l’exploite dans les recouvrements des années 60. Contrairement aux artistes pop, il laisse rapidement de côté l’objet de consommation (Put finger in) pour faire entrer dans l’oeuvre les images choc de l’époque, grâce aux procédés de transfert photographique : photo de Eddie Adams d’un prisonnier Vietcong abattu, et Pinup de Miss Amerika (Musée Ludwig, Cologne), colonnes de chars, visage du responsable étudiant Rudi Dutschke, mort des suites d’un attentat. Pourtant, l’objet est bien là dans l’oeuvre de Vostell, dans toute sa réalité et dans sa force évocatoire : rail, trains de la déportation, voiture du miracle économique de l’après-guerre, avion de guerre… Si le B52 lâche des tubes de rouge à lèvres roses à la place des bombes, c’est que dans ce contraste des objets choisis, l’oeuvre a une plus grande force d’évidenceet de provocation. Dans la salle suivante, les Millionen-kasten datés de 1989 mais reprenant un projet de 1958, jouent de la confrontation de trois niveaux de réel : la télévision, la photo, les briques. Les millions évoqués par le titre sont les millions de victimes juives de la guerre. Les photos utilisées par Vostell sont des photos du Reichskanzlei, siège de la Chancellerie remanié par Albert Speer pour Hitler. Dans certaines interviews, Vostell date sa rencontre avec la ville moderne de son premier séjour à Paris en 1954 loin d’une Allemagne qu’il juge encore très "provinciale". Mais les expériences menées par Stockhausen au Studio de musique électronique à Cologne, les sessions d’été de Darmstadt, et surtout à partir de 1962 les concerts et festivals Fluxus organisés par Georges Maciunas participent d’une scène contemporaine qui ne tardera pas à devenir l’une des plus actives d’Europe. Vostell poursuivra les actions tout au long de sa carrière, jusqu’à la réalisation grandeur nature dans le premier musée Fluxus à Malpartida en Estrémadure, dans la région d’origine de sa femme Mercedes. En écho au travail musical, ses actions se développent à partir de dessins et plans, listes qui peuvent se lire comme autant de partitions (Mania).

La deuxième partie de l’exposition est centrée sur la peinture que Vostell reprend à partir des années 80 sans qu’elle soit antagoniste avec les actions. À partir des années 80, tous les cycles peints sont liés aux actions, les précèdent et ont par rapport à celles-ci le rôle qu’avaient précédemment partitions et dessins. De même que Miss Amerika est liée au happening Miss Vietnam de 1967, L’École d’Athènes, 1988, apparaît dans les premières images de son dernier film Das Frühstuck des Leonardo da Vinvi in Berlin. Les peintures intégrent, au niveau de la figuration et du sens, des matériaux normalement étrangers à l'œuvre d'art comme le plomb ou le béton, très fréquents dans l’oeuvre de Vostell à partir de 1969 (Paris-béton, Basel-béton).

La peinture se développe autour des thèmes récurrents de l’Espagne et de l’Allemagne : chute du mur de Berlin, tauromachie… L’Espagne, pays où il réside fréquemment avec sa famille, mais qui plus que tout autre est aussi le lieu de la rencontre avec la grande peinture des siècles passés : autour de Goya, Titien (Carlos V nach Tizian, qui devient un combattant de la guerre), mais aussi Picasso qu’il admire. À son tour, Vostell exploite la déformation expressive des corps (Die Weinende, 9 Oktober 1989) et retrouve dans la matière picturale une présence de la chair (Doppelfleisch). Dès 1975, la série Estremadura confrontait ces deux univers. La plaque de plomb placée sur la moitié supérieure du tableau évoque l’endormissement d’un pays encore traditionnel pendant les années de dictature. Elle surmonte des vues urbaines de Berlin (pour Yuste, photo de l’ancien Reichstag brûlé en 1933, photo de la gare pour Extramdura). Le plomb comme le béton symbolisent le recouvrement, l’emprisonnement, le manque de liberté. Chacun des tableaux porte un fragment du corps inséré dans le plomb : un bras, une tête de profil. Dans certains des tableaux plus traditionnels peints à l’acrylique, les corps des personnages sont souvent figurés comme des sortes de coffrages en béton. L’exposition se termine sur la grande installation des années 80 : Endogene Depression, d’une quarantaine de téléviseurs partiellement coulés dans du béton, image de la société contemporaine passive, immobilisée, endormie sous le flot des images, des habitudes et des événements.

Commissaire de l'exposition : Fançoise Cohen et Inge Baecker

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Wolf Vostell
Kuratoren: Fancoise Cohen, Inge Baecker (Sammlung Inge Baecker)