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Pour la première exposition de l’année, le CAN invite l’artiste français Raphaël Zarka qui, selon ses propres paroles, n’invente rien, mais dont l’approche ne manque pour- tant pas de fasciner.

« C’est presque insulter les formes du monde de penser que nous pouvons inventer quelque chose ou que nous ayons même besoin d’inventer quoi que ce soit ». Cette réflexion de Borges est devenue le leitmotiv de Zarka qui aborde la pratique de l’art de façon déplacée et problématique. Collectionneur, lecteur, chercheur, investigateur, il fait partie de ces artistes érudits, travaillant prioritairement avec le savoir et la connais- sance comme matériaux premiers. Mais à l’instar de Roger Caillois, cette connais- sance s’inscrit dans une poétique généralisée postulant unité et continuité du monde physique, intellectuel et imaginaire.

Zarka considère que l’expression et l’imagination sont avant tout une affaire de mon- tage et de collage. Comme le monde est fini, l’ensemble des formes et des possibi- lités l’est aussi. Il n’y a donc rien de très mystérieux si des artistes éloignés dans le temps ou l’espace produisent des formes ou des idées similaires, par contre la sub- jectivité fait son apparition dans le choix, le cadrage et le montage de fragments de réalités. Ce sont finalement les liens que Zarka construit entre ces fragments choisis qui convoquent ou provoquent un enchevêtrement d’interprétations nouvelles. Il s’est ainsi intéressé à des formes, parfois complexes, qui surgissent à différentes époques et dans différents champs d’activités, tel que par exemple le rhombicuboctaèdre. Il rencontre cette forme géométrique, venue en droite ligne de l’antiquité et des rêveries platoniciennes, au hasard d’un voyage sous forme de gigantesques brise-lames en béton abandonnés dans un champ. La photographie de ces brise-lames constituera la première œuvre d’une série intitulée Les formes du repos. Plus tard, il retrouvera cette même forme dans un traité de Luca Pacioli (XVe) sur la Divine Proportion, puis représentée sur le seul portrait connu de ce mathématicien, peint par Jacopo de Bar- beri. Zarka produira ensuite une série de sculptures en bois reprenant cette forme, sur la base de sa photographie. Enfin, une vidéo tourné à Minsk viendra parachever cette recherche en prenant pour sujet la nouvelle bibliothèque nationale de Biélorussie, construite en forme d’un gigantesque rhombicuboctaèdre. Pour lui, ses coïncidences n’en sont pas vraiment, elles sont les indices d’un certain « ordre », ou d’une certaine continuité, du monde.

Le travail artistique de Zarka s’est développé dans de nombreuses directions et en utilisant tant la photographie, la vidéo que la sculpture. Il traque ces « coïncidences » tout en se passionnant pour l’oxymore de l’immobilité en mouvement. Il montrera par exemple des roues sculptées dans des murs en briques, une œuvre réalisée en appli- quant une « recette » de l’artiste Iran Do Espirito Santo. Dans sa vidéo, Rooler Gab, la caméra suit un chien dans la garrigue qui finit par nous mener sur une piste de skate board abandonnée, véritable sujet de la vidéo. Gigantesque vague figée de béton que Zarka lit comme un fossile du mouvement. On retrouve cet intérêt pour les vagues pé- trifiées dans ses différents travaux sur la pratique du skateboard, son histoire et l’évo- lution des formes qu’elle a induite. Zarka travaille actuellement à un troisième livre sur le skateboard.

Gibellina L’exposition Gibellina, présentée au CAN, réunit des films, sculptures et photographies autour de deux nébuleuses thématiques : la vibration ou la fissure, et le rapport entre peinture et sculpture. Elle est « encadrée » par deux films récents de Zarka, 14 vues de Gibellina Nuova et Gibellina Vecchia. La petite ville de Gibellina (Sicile) a été entiè- rement détruite par un tremblement de terre en 1968. Reconstruite en contrebas, dans un style architectural résolument moderne, voir utopiste, la ville nouvelle tranche réso- lument avec le paysage dans lequel elle s’inscrit. Les promoteurs de cette ville nouvel- le ont voulu y intégrer des œuvres contemporaines dans l’espoir humaniste d’améliorer la vie des habitants, en sollicitant l’intervention d’artistes reconnus. Parmi ceux-ci, le peintre italien Alberto Burri a préféré s’intéresser aux ruines de la ville détruite, se lan- çant dans un projet titanesque, qui bien qu’inachevé, reste la plus vaste réalisation de land art en Europe. Intitulée Grande Cretto cette œuvre recouvre les ruines de Gibellina de gigantesques chapes de béton blanc. Burri l’a conçue dans la suite de sa série de tableaux cretti (crevasses) dont le Grande Cretto semble être une dilatation sculpturale. Le réseau de coïncidences formelles que Zarka révèle ou produit à l’intérieur, et entre ces deux films se voit augmenté par les photographies et les sculptures qui comple?- tent l’exposition. Une partie des sculptures d’aspect minimal sortent littéralement de peintures de la Renaissance italienne tout en cherchant à affirmer une présence auto- nome, en tissant paradoxalement un nouveau réseau de lien sémantique. Le choix des photos, très disparate à première vue, complexifie à l’envi ce tissage de résonnances, et lui donne la tension nécessaire à l’entrée en vibration. L’impression de sens qui en découle n’est pas fortuite. Comme l’écrit Roger Caillois : « L’esprit n’invente pas ce qu’il veut ni comme il veut. Même la fantaisie qu’on croirait la plus arbitraire possède sa syntaxe ».

Arthur de Pury

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GIBELLINA
Raphael Zarka
Kurator: Arthur de Pury